Réemploi des matériaux : vers un nouveau paradigme dans l’immobilier de bureaux ?

Réemploi des matériaux : vers un nouveau paradigme dans l’immobilier de bureaux ?

Le réemploi s’invite de plus en plus fréquemment sur les chantiers. Mais sa mise en œuvre ne va pas toujours de soi. Elle s’effectue matériau par matériau, en fonction du projet. Benoit Antoine, chef de projets chez Make Office, fait le point pour nous.

Le secteur du BTP est le premier producteur de déchets en France : selon l’Ademe, 81 % des déchets produits sur le territoire national sont générés par les activités du BTP. Afin de limiter cet impact environnemental, la loi de transition énergétique de 2015 a fixé à l’horizon 2020 un objectif de recyclage et de valorisation de 70 % des déchets du secteur du bâtiment. Et tout récemment, la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire du 11 février 2020 ainsi que la future réglementation thermique sur le coût carbone des bâtiments vont également dans ce sens. Le réemploi a donc toute sa place dans ce cadre, et notamment dans l’immobilier de bureau où seul 4 % du mobilier est réemployé.


Le réemploi, mode d’emploi

Le réemploi, qui consiste à utiliser de nouveau des matériaux ou éléments de construction issus de la déconstruction, fait aussi souvent équipe, dans le cadre de l’économie circulaire, avec la revalorisation ou le recyclage. Dans tous les cas, l’objectif est d’augmenter la durée de vie des matériaux et de limiter les déchets. Dans le bâtiment, on a coutume de dire que le meilleur déchet est celui qu’on ne produit pas.

«  Il faut trouver des matériaux compatibles, que la distance pour les acheminer ne soit pas trop grande – car le transport pollue – et que cela ne coûte pas trop cher, notamment s’il est nécessaire de retravailler les matériaux « 


Si cette démarche s’invite de plus en plus fréquemment sur les chantiers, sa mise en œuvre ne va pas toujours de soi. Elle s’effectue matériau par matériau, en fonction du projet. « Il n’existe pas de méthode reproductible d’un projet à l’autre, précise Mihaela Galliot, fondatrice de Blue Idea, conseil en immobilier durable. Il faut trouver des matériaux compatibles, que la distance pour les acheminer ne soit pas trop grande – car le transport pollue – et que cela ne coûte pas trop cher, notamment s’il est nécessaire de retravailler les matériaux. Il faut considérer l’ensemble des données. En tant que commanditaire et financeur, le maître d’ouvrage doit exprimer très tôt sa volonté d’opter pour le réemploi ; et toutes les parties prenantes des travaux doivent partager cet objectif. Il faut que le réemploi s’inscrive dans l’ADN du chantier ».

Très concrètement, avant de se lancer, il est conseillé de lister précisément les matériaux dont on a besoin (matière, performances, nombre de m²…). Dans le meilleur des cas, ils proviendront directement du chantier en cours mais parfois il faudra aller les chercher ailleurs (ce qu’on appelle le sourcing). Et il faut savoir que certains matériaux sont beaucoup plus facilement réutilisables. Les planchers techniques, les faux planchers – un matériau qui coûte cher -, les luminaires LED ou le mobilier en bois brut sont généralement faciles à réutiliser. « Mais ce n’est pas le cas des moquettes ou d’une centrale de système d’air. Le réemploi reste très ciblé sur un certain type de matériaux », complète Mihaela Galliot.

Quand la démarche aboutit, les exemples de réemploi sont très variés. Une porte pourra être retraitée pour devenir une table. Des bureaux au look un peu vieillots retrouveront une seconde jeunesse en étant customisés par un artiste. Des planchers techniques issus d’une démolition pourront être réutilisés et de vieux vêtements seront recyclés en isolants, comme cela a par exemple été le cas pour l’immeuble de bureaux Pulse à Saint Denis. Dans tous les cas, il faut savoir faire preuve d’imagination et de flexibilité sur le chantier pour donner toutes ses chances au réemploi de réussir.

Atouts et faiblesses du réemploi

Côté atouts, le réemploi (bien employé) sert évidemment à limiter les déchets et la production énergivore de nouveaux matériaux. Il peut ainsi permettre d’obtenir une certification environnementale. Mais il ne coûte pas forcément moins cher. Une balance globale des coûts doit être effectuée en amont. Réemployer peut demander du temps et de l’argent pour sourcer, transporter, déposer et retravailler les matériaux réemployés. Un temps qui ne s’inscrit pas toujours dans le planning imparti… Le temps requis pour effectuer le sourcing ne cadre pas toujours avec des chantiers au tempo rapide. D’autant que les plateformes de sourcing, comme Backacia ou Cycle Up, ne font pas de stockage et que les matériaux ne sont disponibles qu’à un instant T. C’est pourquoi la volonté doit être exprimée très tôt par le maître d’ouvrage. C’est généralement plus facile à mettre en place sur des grands projets, avec des délais plus longs.

Un autre frein concerne la qualité des matériaux réemployés : quel est l’impact du réemploi sur le niveau de confort, le rendu esthétique et les performances techniques des matériaux ? « Dans l’état actuel du marché, certains matériaux sont considérés comme ayant une durée de vie limitée, 15 ans voire moins pour la moquette par exemple, alors que la durée de vie dépend aussi de la qualité intrinsèque du matériau et de son degré d’usage. C’est à évaluer au cas par cas. Il faut aussi s’interroger sur les performances techniques de certains mobiliers – comme les cloisons coupe-feu ou les faux-planchers – qui doivent être conformes aux critères fixés par les assurances et parfois même validées par un bureau de contrôle ; Sans oublier que les architectes ont aussi leur mot à dire sur le rendu visuel. Les contraintes sont donc nombreuses, c’est vrai, mais c’est le cas dans toute démarche environnementale et je considère qu’elles recèlent toujours des opportunités de faire autrement et de faire mieux », conclut Mihaela Galliot.

N’oublions pas enfin que le réemploi représente aussi une opportunité en termes d’identité architecturale ou de communication. Cela peut être tout à fait intéressant de montrer que du mobilier a été réemployé. Le réemploi permet de raconter l’histoire du bâtiment. 

Si le réemploi s’invite régulièrement sur les chantiers depuis deux-trois ans, il en est encore aux balbutiements et son marché (acteurs du sourcing notamment) commence tout juste à se structurer. Gageons que la loi du 10 février 2020, qui va dans le sens d’un diagnostic réemploi et commence à poser des bases plus claires, lui donnera l’impulsion dont il a besoin pour se déployer durablement.

Article publié sur WorkPlaceMagazine.fr